POSTURES


Série de photographies capturées dans les transports entre juillet 2016 et juillet 2018, de New York aux Bermudes, de Paris à Montréal, de Chicago à Santa Fe, alors que j'écrivais des guides touristiques. 


▴▴

Textes de Manon Desbois.



Paris, Gare de l'Est. 
Mercredi 17 janvier 2016, 11h57


encore, elle fait glisser son parapluie mouillé entre ses cuisses, encore, j'imagine la pluie qui s'y glisse, elle s'assoupie face contre vitre, au niveau des Buttes, elle remet sa montre classe, dans le bon sens, les aiguilles qui claquent, elle est si belle, le rimel qui pleure, elle a ses ongles, sa bague, son pendentif, mille colliers entre les deux seins, elle garde sa main sous la fourrure, le parfum est de miel, elle vient du Liban, elle est une Vierge et porte des grenades, dans le plastique qui craque, Vaugirad, elle agite le vin rouge, elle cherche amour, gare de Lyon, elle écoute musique, elle dort contre lui, elle a beau, elle a beau les ouvrir, ils sont fermés, elle frémit à cause de lui, elle n'a plus d'ombre, elle n'entend rien, elle est de Hyacinthe, elle se met du mascara, elle écarquille les yeux, la brosse de pâte noire, miroir de poche, main qui tremble avec soubresauts, les lèvres entrouvertes, elle se mettrait du rouge au doigt avec le vin, les longs cils sont repeints, les fils de ses cheveux s'agitent, le miel dégueule, elle l'emporte, le cacher loin dans la foule


ton regard se découpe en triangles, rose et noir, la lumière n'attend pas, tu ne vois rien, ou tu fais semblant, le rouge de tes lèvres se barre, tu sers l'anse de cuir cheap,
mais tu n'entends pas la tristesse contemporaine qui se joue dans les oreilles, tu ne sais rien d'elle, et des autres, tu ne veux pas savoir, tu ne sais pas où poser tes yeux, tu vois ton reflet découpé, en lambeaux de toi dans le tunnel noir, au-dessus des villes, à la Chapelle, tu ne vois pas ceux qui dorment dessous, tu n'as pas idée, tu ne t'en fous pas, mais tu ne sais pas, tes mains sont moites, tes fesses dépassent de la moquette du strapontin, ça gratte, tu te grattes 




t’as mis ton vieux blouson en cuir, comme Travola dans Grease, le col qui remonte, les boucles de gel, et ta barbe, c’est un duvet, deux lignes pour tes 23 ans, ton air fier, t’es à Paris, tes traits sont lisses, tes yeux vifs s'accrochent aux pubs, aux gens qui défilent, aux visages des voisines, meufs avec chien, cul pas mal, meuf avec sweat rouge, meuf avec rouge à lèvres sur lèvres à mouiller, meuf du soir, meuf de 8h10 Châtelet, puis tes yeux vifs sur accessoire essentiel, Bukowski sur tes genoux, sur tes trous, tes mitaines en laine, ça en jette



il y a technologie, son ventre est un bloc teinté d'argent, sa montre est en caoutchouc, celui-là c'est mon amour, les cellulaires qui sonnent, le soleil de Chicago a l'odeur de Paris, et de sa pisse à elle, et de son saroual qui traîne. c'est un bébé qu'il berce, il parle du Dolan, elle lui touche la main quand il dit oiseau et poésie qu'il n'aime pas, il va faire quelque chose, lui aussi, non, désolé, pas de monnaie, il ne voit pas elle, il voit lui.


le cell reçoit des coups de pouce précis, pour écrire le message, le vernis rouge des ongles ne laissera pas de trace, il est waterproof et bien posé, la vitre est de glace, le métro file, la fille pianote, la musique joue, la fourrure dépasse du sac à main, les circulaires du magasin bio vendent des produits équitables, elle lèche du regard les pommes de Rougemont, avec les épices et l’eau chaude elle ferait une boisson délicieuse, à 2 dollars 50 bien dépensés, il reste 3 stations, si elle va métro Berri elle pourrait faire un crochet, la fille écoute Booba, elle doit être de France, mais elle, elle n’est pas de France, pourquoi elle voudrait, elle n’y pense que vite, là elle est dans le froid et va se faire une boisson au pomme, comme Ricardo à la TV, si elle descend à Berri il y a le long couloir et les courants d’air, et les musiciens qui la gêne, si elle va à Bonaventure, il y l’IGA, les pommes sont pas bio mais c’est moins cher, la fille écrit vite son message, au rythme de Booba, elle fait un sourire, ça lui allonge le nez mais on voit mieux qu’elle a du charme, elle s’est fait un long trait de khôl sur la paupière, comme les femmes de son pays avant, comme sa mère sur les photos, elle pourrait se remettre du khôl ici, mais elle n'a pas envie, elle préfère bouffer pour se rattraper, elle bouffe devant la TV et Ricardo et la guerre de son pays, les pommes chaudes ça aide pour l’hiver, la fille descend à Berri, elle ne regarde rien, son vernis est bien mis, ça le vernis elle pourrait, s’en remettre sur le bout des orteils.




Using Format